Cleon Peterson, reflet artistique de la violence systémique

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24
Jan

Cleon Peterson, reflet artistique de la violence systémique

24.1.2024

Cleon Peterson, reflet artistique de la violence systémique

©Cléon Peterson / Source: Bewaremag.com

Des œuvres macabres et décadentes nourries par le parcours de vie de Cleon Peterson

Aujourd’hui mondialement connu pour ses œuvres caractérisées par des scènes épiques de bagarres sanglantes, Cleon Peterson ne semblait pourtant pas destiné à devenir une figure internationale du street art. En effet, celui qui projette sur toile ou sculpte sa vision d’une société monstrueusement brutale a plutôt failli se retrouver six pieds sous terre ou à croupir dans une prison américaine qu’exposé dans des galeries prestigieuses aux quatre coins de la planète.

Son style, reconnaissable dès le premier coup d’œil, traduit sans jamais plus de deux ou trois couleurs les violences urbaines un peu à la manière d’un artiste Pop art qui représenterait des scènes d’affrontements mythologiques sur des amphores de la Grèce antique. Son approche s’imprègne également des codes graphiques de la publicité et de la propagande pour véhiculer une virulente critique du système.

Personnage violent peint par Cléon Peterson
©Cléon Peterson / Source : bewaremag.com

À la marge des thématiques émergent

Né en 1973 à Seattle, dans le nord-ouest des États-Unis, le jeune asthmatique Cleon Peterson et son petit frère Leigh Ledare qui, lui, s’illustrera dans la photographie, ont été élevés par Tina, une mère danseuse de ballets, et un père ouvrier du bâtiment, dans un milieu marginal. En raison de son affection pulmonaire, le jeune Cleon s’attache à passer le temps chez lui, trop souffrant pour se rendre à l’école, comme lors de ses nombreuses hospitalisations à fréquence d’une semaine par mois, en dessinant sans cesse. Durant ses jeunes années, le monde de l’art lui semble à portée de main puisque ses parents bohèmes s’entourent de toute une faune d’artistes plasticiens, d’acteurs, de comédiens et de musiciens qui viennent régulièrement leur rendre visite pour participer à des fêtes dantesques. Dans une interview, Cleon Peterson confie que cette époque a significativement contribué à son éveil artistique.

Mordu par le dessin et la peinture fauviste, il commence à exposer dès son adolescence au sein d’écoles et églises locales. Il dégote ensuite, à 17 ans, une bourse pour aller étudier à la Pratt Institute de Brooklyn. Cleon Peterson se retrouve livré à lui-même dans l’immensité new-yorkaise du début des années 1990 mais découvre dans les musées le travail d’artistes pionniers à l’instar de Warhol, Basquiat, Keith Haring ou Leon Golub qu’il cite comme influences. Il se laisse néanmoins enivrer par les vices de la ville qui ne dort jamais, happé par des drogues comme l’héroïne qu’il consomme compulsivement pendant deux ans avant de rentrer à Seattle.

C’est grâce à son frère Leigh, amateur de skateboard sponsorisé par une marque de San Diego, qu’il trouve le moyen de gagner sa vie comme illustrateur. Tout d’abord engagé par cette marque, il emménage à San Diego pour designer des planches de skate. Il travaillera notamment avec Fundation Skateboard, Pig Wheels ou Zero dans la conception de logos mais ses addictions le rattrapent. Il enchaîne alors des passages en prison et hôpitaux psychiatriques, vit dans sa voiture, avant de se résoudre à intégrer pendant un an et demi une cure de désintoxication à la suite d'une décision judiciaire.

Cléon Peterson devant sa fresque murale
©Cléon Peterson / Source Artsy

Le travail paye

Sevré, en 1998 il se rend au studio de l’artiste Shepard Fairey, célèbre street artist internationalement connu sous l’alias Obey. Il souhaite s’y faire embaucher comme assistant. Après près de deux ans à travailler pour Fairey, Peterson décide de reprendre ses études pour tenter de gagner convenablement sa vie. En 2004, il se retrouve diplômé d’un Bachelor of Fine Arts en design graphique à l’Art Center College of Design de Pasadena. Deux ans plus tard, il obtient son Master à la Cranbrook Academy de Détroit.

En parallèle, il s’acharne à peindre pendant son temps libre afin de tenter de concrétiser ses aspirations artistiques personnelles. C’est à ce moment qu’il commence à développer le style et les thématiques qui lui apporteront sa consécration actuelle. Il part ensuite à Los Angeles, déterminé à vivre de son pinceau. Pour survivre, il travaille cette fois dans l’illustration de maquettes de livres d’artistes. À cette occasion, en 2007, une galeriste découvre son travail personnel et lui propose de l’afficher lors d’une exposition collective. Jeffrey Deitch, ancien directeur du MOCA de Los Angeles, impressionné par le style de Peterson, décide d’acheter toute la série de tableaux présentée pour les afficher au sein de sa prestigieuse galerie Deitch Projects à New-York.

Fresque murale géante composés de personnages de Cléon peterson
©Cléon Peterson / Source : arrestedmotion.com

L’école de la vie, de la rue à la galerie

Les épreuves qu’il a vécues et les tribulations d’une vie de junkie contribuent à forger son style artistique pop et décadent. Il se met à représenter les violences urbaines, les tensions sociales et les répressions policières. Ses œuvres sont remplies de sombres personnages imaginés au carrefour de la mythologie grecque, de l'art de rue, du graphisme industriel et d’images de propagande dans une palette saturée de noir, de rouge sang et d’un blanc purificateur.

Peterson façonne des scènes chaotiques d'injustice et de dépravation où se côtoient la vie et la mort, la violence et le désordre. Il y intègre ingénieusement de nombreuses allégories et symboles sur le ton de l'humour noir et y questionne également la monstruosité ordinaire, les rapports de domination, la beauté dans la souffrance et le rôle de chacun dans l’horreur quotidienne. Lors d’une interview au magazine LA Weekly, en mars 2022, il décrit son propre travail en trois mots : « pouvoir, perception et violence ».

Voilier Edmond de Rothshild
©Cléon Peterson / Source :ideat.fr / Maxi Edmond de Rothschild Gitana

En août 2008, Cleon Peterson décolle lors d’une exposition commune avec l’artiste Kill Pixie à San Francisco. L’année suivante, il est invité pour sa première exposition personnelle à Los Angeles. En juin 2014, le Palais de Tokyo le sollicite à Paris pour réaliser, dans le cadre de la troisième édition du LASCO PROJECT, une fresque de 48 mètres de long qu’il baptise Power. Elle représente en noir et blanc des hommes, uniquement vêtus d’un sous-vêtement, qui s’adonnent à un véritable massacre.

Deux ans plus tard, il revient à Paris. Pour la Nuit Blanche, le Palais de Tokyo lui a cette fois-ci demandé de réaliser une peinture de 700 m2 sur le parvis de la Tour Eiffel. Cette œuvre s’intitule Endless Sleep (« sommeille éternel ») comme un pied de nez au nom de cette manifestation artistique et culturelle française. C’est à La galerie du jour agnès b. qu’il expose une nouvelle série de toiles et de sculptures en 2017. La même année, il est choisi par Ariane Rothschild pour customiser Gitana 17, le maxi-trimaran familial. Les voiles sont illustrées de quatre guerriers munis de cinq flèches qui viennent symboliser les quatre filles du couple Rothschild et les cinq fils du fondateur de cette illustre dynastie. Plus récemment, on le retrouvait du 13 février au 4 mars 2023 sur l’archipel nippon. Ce peintre aussi singulier que subversif s’y est vu consacré une exposition solo intitulée « Under the Sun, the Moon and the Stars » à la Kaikai Kiki Gallery de Tokyo.

Sculpture en bronze de Cléon Peterson
©Cléon Peterson / Source : avantarte.com
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